20 oct. 2006

Pure perte de temps

A quoi reconnaît on le temps qui passe ? Aux rides conquérant le visage de sa mère? A la réduction drastique des écarts alimentaires de son père ? A la chute sensible de ses propres fréquentations, à l’érosion ou l’homogénéisation de son cercle amical ? A l’effondrement de l’IQEI (Indice Quotidien d’Erection Involontaire) ? A la hausse de l’IQIV² (Indice Quotidien d’Irrigation Volontaire du Vagin) ? Ou bien à d’insignifiants détails suggérant que la cinétique des jours écrase tellement la réalité qu’aucune action corrective ne semble pouvoir payer, à part (peut-être) creuser un trou minable et s’y terrer. Je songe alors à mon chien, qui fait dix ans cette année. Avec l’âge, il a tellement pris du poids qu’il ressemble à présent à un bébé phacochère. Son oesophage, tout comme pour les êtres humains âgés, est agressé par d’indésirables amas adipeux. Il ronfle donc fort, très fort, à 90 décibels. Il a pris un coup de vieux, lui aussi. La Ferrari Testarossa elle-même, que je trouvais pourtant indémodable, intemporelle même, essuie un sérieux revers face à ce rival de toujours, le temps.

Face à la vague du temps qui déferle, je suggère alors de prendre une bonne inspiration. Elle casse, en droite et tant mieux, c’est ce que je préfère. Petite session de canard à l’horizon.

Il y a bientôt dix ans, la veille même du début des épreuves du Bac, j’étais confortablement assis à bord d’un avion à hélice - un 4 places : un des mes amis jetables de l’époque, Yann, avec qui je révisais la physique et la bio, passait au même moment son permis de pilote, et nous convia Réda et moi à un survol aérien de la ville. Il rencontra même un certain succès dans cette voie, il est à présent pilote de jet privés pour la mafia russe installée à Monaco - en train de savourer un énorme pétard au dessus de la ville. En décalage total, encore et toujours.

Une fois au dessus de la Mosquée Hassan II, je constatai amèrement que je priais pour que notre avion s’écrase sur le minaret. Pour dire vrai, j’opérai une séance d’auto suggestion pour me dissuader d’arracher le manche que tenait Yann, le manche qui nous maintenait tous en vie, histoire de ne pas finir en queue de poisson et de faire un gros doigt au temps. La dérision, la répartie et le rire sont loin d’être des armes comme le prétendent ceux qui en vivent. Je ne fais ni one man show ni stand up, j’ai 27 ans, célibataire, et bosse en costard cravate. Pour cet accoutrement, et accessoirement mon travail, on me verse de l’argent, tout à fait régulièrement, à T. A T donc, et pendant toute la durée du vol, tout irait bien. La différence entre un autre moment T où l’avion commencerait à perdre de l’altitude et le moment T+34 sec où l’avion percuterait dans une boule de feu le minaret de la Mosquée ne sont qu’une banale vibration des cordes du temps. Vibration que moi seul percevais jusqu’ici dans mon esprit, rebondissant sans cesse sur les dires des uns et les attaques futiles des autres, jouant sur les mots, feintant le temps dans un « one on one » perdu d’avance.

Et puis la routine s’est installée, avec une maîtrise du déplacement et de la dissimulation calquée sur celle des plus grands shinobi des villages secrets du Japon. Jamais en me couchant le soir je ne pouvais imaginer que monogamie puisse rimer avec monotonie. Que pour chaque femme (ou incarnation de fantasme masculin) correspondrait un mec qui en aurait assez de la baiser. Destinées et âmes compressées dans un nanomètre cube, un microscopique petit cube remplis d’espoir et d’émotions, un cube de paille maintenu dans le vide à l’aide d’un fil invisible, le fil du temps.

En toute légitimité, je me pose alors des questions : pourquoi les années sont elles de plus en plus courtes ? Faut-il s’acharner à tuer le temps (pendant Ramadan, les gens abusent, donc le Temps se venge, c’est bien normal) ? Comment alors, laisser sa trace ? Comment ne pas croire qu’à l’échelle de l’univers nos vies n’ont aucun sens, qu’elles n’ont tout simplement jamais existé ?

D’où cet extrait de Time: « And then one day you find, ten years have got behind you. No one told you when to run, you missed the starting gun »


J’ai envie de creuser un trou. Pour ne plus perdre de temps.