Chroniques du checkpoint
Dans les jeux vidéo d'action , les check points sont considérés comme des points de résurrection. Quand le personnage meurt, ce dernier revient au dernier check point franchi. Cela est peut-être minimaliste au premier abord, mais le check point a une grande influence sur la durée de vie du jeu. En effet, un jeu sans check point sera bien plus difficile qu'un jeu avec check points car moins il y a de check points, plus l'erreur a de chances de nous faire revenir au début du niveau.
De retour du check point, je m’arrête chez Yael acheter du pain et des olives noires pour mon petit déjeuner : un entraînement intensif aux tirs avec des guns à air comprimé est programmé pour demain matin et il semblerait que les olives noires soient vivement recommandées car elles permettraient d’intensifier la concentration dans ce genre de situation. J’en ai un besoin chronique, contrairement aux autres qui sont nés ici et s’amusent avec des desert eagle et des uzi depuis l’école primaire…
La journée a été tout à fait « supportable » jusqu’à ce groupe de lycéennes palestiniennes décidées à traverser notre point de contrôle pour se rendre à l’école (enfin, ce qu’il en reste après le passage de notre armée il y a deux mois de cela) située deux rues après notre barrage. Considérant les instructions reçues à la mi-journée en réaction aux attaques essuyées par un check point voisin ce matin, mon caporal ne pouvait se résoudre alors à les laisser franchir le point de passage où on les contrôle pourtant tous les jours depuis que nous en sommes en poste. Elles ont vaillamment manifesté pendant 45 minutes avant de laisser tomber, probablement fatiguées et démotivées (une équipe télé de la BBC s’est attardée un bref instant sur la scène, avant de passer son chemin), pour finalement suivre leur cours en plein air, à deux mètres du check point et de nos uzi. Braves filles me suis-je dit.
L’une d’entre elles ne cesse de me dévisager. Elle semble plus grande et plus fine que les autres. Les traits de son visage sont fins, tout à fait remaqrquables. A chaque fois qu’elle passe par ici, sa démarche m'hypnotise et j’ai envie de lui parler, de lui demander si comme moi elle aime les films muets et les sodas au gingembre, elle me plaît, elle est belle. Elle s'appelle Haifa et je crois que je l'aime. Une bâtarde ? Probablement. A cause de son voile, on ne peut pas vraiment voir ses cheveux, mais il me semble bien qu’elle est rousse en réalité… Le caporal luit dit qu'on s’en fout, qu'on ne trippe pas sur les chattes ennemies : on les bloque, on les scanne et on les laisse passer. Fin du process. Ou on leur interdit de passer, et là, c’est une autre histoire et un autre process qui commence.
Quand soudain, un cahier heurte mon casque, si fort que j’en fais tomber mon arme. En la ramassant, je continue de fixer la bâtarde, qui sourit en cachant sa bouche avec son voile blanc. Mon caporal me chuchote d’ouvrir l’œil avant de se diriger vers le groupe de filles, accompagné de trois autres soldats. Il saisit alors l’une d’elles par la taille, la soulève et la plaque violemment contre le mur. Les autres filles reprennent aussitôt leur concert de cris, un ballet hystérique prend forme sous mes yeux, le tout orchestré par le caporal qui tient à présent en joue celle qui semble être leur professeur. Il m’ordonne de venir
Le caporal me crie de lui courir après. Re-exécution. Elle accélère, moi aussi, elle tourne une rue plus loin, je
Je la laisse alors partir pour qu'elle vive, en espérant qu’elle revienne demain, ou le lendemain, ou le surlendemain. Elle me manque. J'ai envie de la revoir, ailleurs, sur un autre plateau, dans une autre vie, et si ce n'est pas possible, ce sera au paradis.