17 juin 2008

Le venin

« Fils à Papa, calmez-vous ! »

Dans son immense miséricorde, ceux que Dieu a bien voulu doter d’une bonne mémoire (ou ceux dont le cerveau n’a pas encore été totalement ravagé par le shit) doivent se souvenir de cette petite pique adressée aux jeunes bourgeois casaouis par probablement d’autres jeunes casaouis qui à l’époque les jalousaient, gravitant autour d’eux à bord de scooters Honda CT-50, fréquentant les mêmes lieux sans même y poser le pied, scrutant leur manière de s’habiller et copiant leurs tics verbaux, espérant un jour eux aussi pouvoir se pavaner en voiture dans Ain Diab.

Ce petit mot, d’une grande délicatesse, avait été taggé en lettres géantes sur un mur blanc face à un rond point qu’empruntait tout futur client du Cinéma Dawliz à Casablanca.
Inutile de traiter ici l’absence chronique de nom de rues dans Casablanca…

Depuis, ce mur a été repeint et le message a disparu, le terrain avoisinant loti, le Cinéma liquidé par Mégarama et sacrifié sur l'autel du piratage par les DVD à 10 balles.
Imparable combo.

Et puis surtout, ces jeunes ont grandi.
Et le jour où ils allaient se pavaner en bagnole est enfin arrivé.

Car à présent, il n’est pas rare de voir ces gueux, soit des jeunes qui n’ont fait ni la Mission ni l’Ecole Américaine, encore moins Bennis ou comparable, rouler à bord de magnifiques allemandes, sapés de la tête aux pieds en Dolce, courtiser sans succès les filles de la caste toujours un peu supérieure.
Reconnaissons avec honnêteté que cette pointe de racisme représente ici le fond de la pensée de pas mal de bourges casaouis.

Mais revenons plutôt aux gueux.
Certes, leur dentition déplorable continue toujours de trahir leur CSP originelle, car les gueux, qui provenaient pour l’essentiel de la campagne ou du Souss-Massa ont hérité de gènes hideux, mais dans leur malheur relatif, ils ont d’abord bénéficié de conséquentes réserves foncières familiales qui aujourd’hui leur permettent de crier sur tous les toits de toutes les maisons des rues et avenues sans nom de notre plus beau pays du monde : « Moi aussi je suis riche ! ».

Ces gueux sont les nouveaux bourges du Maroc. Et vu l'allure à laquelle ils semblent se reproduire, ces aliens marchent sur les plates-bandes des bourges d'origine, qu'ils vont avaler tout cru.

Prenons pour exemple la magnifique évolution de carrière de Lhaj Fettah, sombre exploitant agricole meknassi qui n’a pourtant jamais connu les joies du pèlerinage musulman et qui n’a de Haj que la propreté de ses vêtements. Cet individu s’est vu proposer par un riche bâtisseur national une centaine de millions de Dirhams pour la cession de son terrain agricole qui passe aujourd’hui en zone urbaine. Quelle aubaine ! Son fils Jamal, la bave aux lèvres, fantasme déjà sur un énorme 4x4 noir jantes chromées. Après un rapide calcul démontrant le bénéfice de cette fructueuse opération, notre cher Haj efface de sa mémoire deux siècles de prospérité familiale dans l’huile d’olive et accepte le deal. Lhaj troque illico le naturel de sa charrette sans émission de CO2 pour une fantastique allemande finition sport luxe série limitée avec double GPS et radar de recul (vachement utile à la campagne). Un putain de V12 au bruit assourdissant, assez en tout cas pour couvrir les gémissements de détracteurs envieux, ces mêmes casaouis bourgeois d’origine qui se sont fait chier à étudier pour toucher dix à trente mille balles par mois. Soit la consommation en essence du V12 de Lhaj additionnée à celle du Hummer noir jantes chromées de son fils Jamal.

Jamal, et ça a le mérite d’être précisé, a emménagé depuis peu dans un appartement situé en plein cœur du quartier in Racine de Casablanca. Ses cousins Hamid et Brahim ont même quitté leur Belgique natale pour retrouver la famille et plonger sans slip dans ce nouvel océan de thunes et de consommation.

Les voisins de palier de Jamal sont des Berrada. Qui trouvent leur nouveau voisin gueux très bruyant.


All in !