5 sept. 2006

Nouvelle d'un monde possible Part IV

Il s’appelait Kiruna De Kermen et semblait réellement apprécier ma présence. Et moi la sienne. Rarement il m’a été donné de constater chez un homme des traits aussi parfaits. Son visage et son expression reflétaient une confiance en soi absolue, un peu à la manière d’un grand maître d’échecs annonçant une combinaison de mat létale, dégageant une aura dominatrice, recouvrant l’espace d’un doux nuage de confort et de paix, une projection physique de la force, de la vérité, sa vérité. Lui aussi semblait calculer une multitude de choses, plusieurs coups à l’avance pour chacune, et sans vous quitter de ses yeux gris-bleu, il souriait et vous parlait, sondant votre âme au plus profond d’elle même. Je repensais également à ce qui s’était produit quelques instants plus tôt, sa transition éclair de la position allongée à la station debout, grâce à une condition physique impressionnante (je m’amusais à l’imaginer en fana d’athlétisme ou de lutte gréco-romaine), et concluais que ce genre d’individu devait jouir d’une sacré côte auprès des femmes. Décidément, je le trouvai tout à fait sympathique. Au point d'admettre que quelque part sa présence me rassurait. Par ailleurs, je sentais que j’étais sur le point de vivre quelque chose de tout à fait d’exceptionnel. La beauté est dans les yeux de celui qui regarde, soit moi, Oscar avait vu vrai, et pour moi donc, l'indiscutable beauté de Kinruna incarnait mon espoir personnel de découvrir ce qui se cachait derrière tout ce mystère. Après cet journée pluvieuse, la lumière allait se faire, lentement.

Le plus dur avait été de franchir la distance nous séparant de l’entrée du garage. Comme nous n’avions aucun véhicule à garer, mes parents avaient transformé le garage en une sorte d’entrepôt multi références. Je savais donc parfaitement où dissimuler Kiruna suite à notre discrète intrusion dans la maison, soit tout au fond du garage, derrière des cartons de grande dimension, que l’on redisposa de manière à lui aménager une cachette de deux bons mètres cube. A présent à l’abri, j’essayai de le faire parler un peu. Il n’opposa aucune résistance.

- Ton père est sain et sauf. Tu pourras le retrouver dans très peu de temps.

- J’y compte bien. Sinon, vous êtes prévenu : j’appelle la police !

- Pour leur dire quoi ? Que tu as accueilli un sans abri ? Pour un fils d’écrivain, qui plus est celui du grand F. Kaufman, tu devrais avoir plus de suite dans les idées.

Il avait décidément calculé bien d’autres choses et je ne pouvais me permettre d’introduire le doute et la méfiance dans une atmosphère jusque là étrange c'est vrai, mais encore très détendue, imprégnée de confiance et de respect.
- Ecoute moi attentivement, reprit Kiruna. Les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Ton esprit est encore trop étroit pour saisir toutes les subtilités de ce que je pourrais te dire. Pour y remédier, je te propose donc un petit jeu.

- D’accord, d’accord. Tout ce que vous voudrez. J’étais de toute façon disposé à accepter n’importe quoi pour obtenir des réponses.

- Le jeu que je te propose est des plus simples : tu as droit à trois questions. Pas une de plus. Les trois questions doivent être précises, indépendantes tout en menant à une conclusion commune, sinon, je ne répondrai à aucune des trois. Si je les accepte, tu sauras tout. Sinon, je repartirai d’où je suis venu et tu ne sauras rien. Rien du tout, jamais. Pour compliquer le tout, je ne peux répondre à tes questions que par oui ou par non.

- Mais c’est difficile, et complètement injuste, rétorquai-je.

- Qui a dit que ce monde était juste ? C’est comme ça ! Prends un petit moment et réfléchis-y un peu. Tu verras, tu y parviendras en moins de temps que tu ne le penses. Pour le moment, je vais dormir un peu. Je suis épuisé.

- Je suppose que tu ne quitteras pas ton « refuge ».

- Si ta question est « Est-ce que je serai là quand tu reviendras », la réponse est « Absolument ».

- Très bien. Je vais donc t’apporter quelque chose à boire. Tu aimes la cerise à l’eau ?

- Menthe, s’exclama-t-il.

- Il me reste six mille neuf cent quarante trois vœux à exaucer pour vous Maître ! Quel sera le prochain ?

- Au moins, tu as le sens de l’humour. Pour un futur écrivain, c’est rare. En général, ce genre de profession use psychologiquement, avant même de l’avoir réellement pratiquée. J’apprécie ta répartie. Tu es promis à un bel avenir. Crois moi !

- Comment savez-vous que je serai écrivain, M. De Kermen ?

- Là d’où je viens, mes amis m’appellent K.

- Vous ne répondez pas à ma question, insistai-je.

- C’est totalement volontaire. Reconstitue dans ta tête les derniers évènements de la journée, ce que tu as vu, ce que tu as entendu et dis. Ensuite, réfléchis un peu à notre petit jeu. Avant que tu ne partes, j'aimerai te récompenser. Je vais te révéler un indice, sous la forme d'une question si tu le permets : est-ce que tu aimes les voyages?

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