15 févr. 2006

L'art de la guerre selon le Traité de Sun Zi et parallèles avec le jeu d’échecs, par Ali Alaoui Mdaghri



Orientation :

"L’art de la guerre" par Sun Zi est historiquement le premier traité de stratégie au monde, rédigé aux alentours du Vè siècle avant J.-C. (il fut traduit en 1772 par le père J.-J. Amiot, jésuite). On ne sait rien de son auteur, Sun Zi, si ce n'est que son oeuvre fut très vite considérée en Asie comme une référence.
Considérant la guerre comme une réalité inévitable, Sun Zi démontre cependant que le but ultime d'une guerre n'est pas de remporter de coûteuses victoires, mais de préparer le rétablissement de la paix.

Ali Alaoui nous invite ici à découvrir ce texte légendaire cité par tous les communicateurs et stratèges politiques. Bien évidemment, il tente lorsque cela est possible des parallèles constructifs avec le jeu d’échecs.



Je commencerai cet article par une citation d'un célèbre philosophe chinois, Lao Tseu :

"Rien n'est plus souple et plus faible au monde que l'eau.
Pourtant pour attaquer
Ce qui est dur et fort
Rien ne la surpasse
Et personne ne pourrait l'égaler.

Que le faible surpasse la force
Que le souple surpasse le dur
Chacun le sait.
Mais personne ne met ce savoir en pratique."

Cet état d'esprit, cette façon d'envisager un rapport de force entre deux adversaires, est le fondement de la philosophie de Sun Zi (Sun Tse, entre le Ve et le IVe siècle avant notre ère, en Chine).
C'est l'essence de la pensée Taoïste. Pensez à tous ces arts martiaux millénaires et emprunts de sagesse dont le principe est de vaincre l'ennemi par sa propre force, et vous comprendrez alors l'idée de cette citation, et de fait les stratégies de Sun Zi. Je vous rassure tout de suite, si je vous suggère la lecture de ce classique de stratégie, il n'en demeure pas moins que c'est largement insuffisant pour qui veut bien comprendre l'art de planifier.
Pas forcément parce que le livre est destiné aux militaires, mais surtout parce que les stratégies préconisées sont indirectes, parfois incomplètes, mais toujours universelles.
J'ai choisis quelques extraits de ce livre que je vous présente ici, j'indiquerais bien entendu la place de chacun dans le livre, découpé en articles (de 1 à 13).

Mais je commencerai par citer Gérard Chaliand (spécialiste des problèmes de stratégie), s'exprimant au sujet de l'art de la guerre :

"Le traité de Sun Zi concerne l'intelligence des rapports de forces et l'utilisation la plus rationnelle, voire la plus économe, des troupes [...]
Ses treize chapitres englobent et synthétisent les principes généraux devant guider la conduite d'un conflit [...]
S'il existe, pour mener la guerre, des principes généraux, il n'y a pas d'équation qui permettent de conduire à la victoire."

Premières analogies possibles avec les classiques d'échecs, le jeu lui-même est un rapport de forces ente deux adversaires au travers d'une armée, en faisant usage de l'intelligence.
Par ailleurs, les idées proposées sont des principes, qu'il faut s'efforcer de suivre afin de mener bataille, mais ne garantissent pas forcément la victoire !
Donc, comme pour tout principe, il faut considérer l'exception, un bon principe mal utilisé devient mauvais, et peut avoir des conséquences dramatiques.

Tout ce qui est entre guillemets sont des extraits de "L'art de la guerre", le reste mes commentaires.

Article I : Fondements de l'art militaire

Ici Sun Zi définit les cinq fondements de la science militaire selon lui, la doctrine, le ciel, la terre, le général et la discipline. La doctrine serait l'état d'esprit avec lequel on aborde un combat, le ciel serait le temps, les coups, la terre serait l'échiquier, le général serait l'habileté du joueur, sa qualité et son expérience, et la discipline, son savoir et ses méthodes.

"Les connaissances que je viens d'indiquer vous permettrons de discerner[..] celui qui a la meilleure doctrine et le plus de vertus[..], vous pourrez conjecturer assez sûrement quel est celui des deux antagonistes qui doit l'emporter et, si vous devez vous-mêmes entrer en lice, vous pourrez raisonnablement vous flatter de devenir victorieux." Comprenez par là qu'en estimant la force de votre adversaire, en prenant simplement connaissance de son parcours et de sa réputation, avant même d'avoir engagé le combat est une façon assez sûre de savoir à quoi s'attendre et jusqu'à quel point se féliciter d'avoir gagné... contre un plus fort que vous, le mérite est grand, contre un plus faible...

"Parce que vous saurez distinguer ce qui est possible de ce qui ne l'est pas, vous n'entreprendrez rien qui ne puisse être mené à bonne fin. Avec la même pénétration, ce qui est loin sera vu comme si c'était sous vos yeux, et inversement."
Règle élémentaire de la prudence. Aux échecs, il s'agit de ne pas mener d'attaques optimistes dont le résultat est trop incertain, on ne doit déclencher une attaque que lorsque l'on est sûr d'obtenir un avantage quelconque. Voir loin, c'est prévoir les conséquences d'une entreprise, et donc y renoncer s'il vous parait qu'elle peut échouer d'une façon ou d'une autre.

"Les troupes doivent être toujours tenues en alerte, sans cesse occupées [..] Elles forment une même famille dans laquelle rien ne doit être négligé pour que règne la paix, la concorde et l'union." Principe pur du jeu d'échecs… « Aidez vos pièces et elles vous aideront ! » Aidez-les en créant une harmonie entre elles, en donnant à chacune une tache à accomplir, et en ne les faisant pas se gêner.

Haut de la page

Article II : Des commencements de la campagne

Dans cet article, Sun Zi dit qu'il ne sert à rien de faire durer une guerre sans raison, bien entendu il s'agit de réels conflits, mais on peut l'interpréter d'une façon morale, à savoir qu'il ne sert à rien de prolonger, dans le cas des échecs, une partie alors que vous pouvez y mettre un terme rapidement.
Personnellement, j'ai déjà joué avec mon adversaire comme un chat avec une souris, et j'ai déjà été la souris de quelqu'un ! Mais dans le premier cas je me souviens être passé pour un sadique, et dans le second j'aurais voulu passer au Bazooka pour tuer en vrai mon adversaire ! En réalité, c'est plus une perte de temps qu'autre chose et ne fait que flatter notre vanité...

"Ne laissez échapper aucune occasion de l'incommoder, faites-le périr en détail, trouvez le moyen de l'irriter pour le faire tomber dans quelques pièges, provoquez des diversions pour lui faire diminuer ses forces en les dispersant." L'incommoder, c'est le menacer de..., le faire périr en détail, c'est bien penser la façon de le mater le roi, l'irriter, c'est être durablement menaçant, ce qui peut entraîner la chute de n'importe quel joueur par harassement, et disperser les forces adverses pour les diminuer est une tactique commune aux échecs : la déviation, l'interception, etc.

Article III : Ce qu'il faut avoir prévu avant le combat

Il faut comprendre avant que le combat ne soit engagé directement et totalement, autrement dit à l'ouverture d'une partie.
"D'abord conserver son pays et les droits qui en découlent et ensuite seulement conquérir le pays ennemi; assurer le repos des cités de votre nation; voila l'essentiel, troubler celui des villes ennemies n'est qu'un pis-aller; protéger contre toute insulte les villages amis, c'est votre premier devoir; faire des irruptions sur les villages ennemis ne se justifie que par la nécessité; empêcher que les hameaux et les chaumines de nos paysans subissent le moindre dommage, voila ce qui mérite votre attention."
Il sera facile de faire l'analogie avec le jeu, s'assurer de bâtir une position solide dans son camp, assurer le repos de votre roi, ne pas attaquer trop tôt, empêcher que l'adversaire ne cause des dommages à votre système de défense, bref, l'essentiel de ce qu'il faut faire durant la phase d'ouverture...

"Sans bataille, immobiliser l'armée ennemie, voila qui est excellent." N'est-ce pas la subtilité du jeu positionnel ? La strangulation en somme, sans combats directs ou passes tactiques.

"Les grands généraux y parviennent en éventant toutes les ruses de l'ennemi, en faisant avorter ses projets [..] en lui enlevant toute possibilité d'entreprendre rien qui puisse être avantageux pour lui." Tuer le contre-jeu, prévenir les pièges tendus...

"Si vous êtes contraints de faire le siège d'une place et de la réduire, disposez vos chars, vos boucliers et vos machines de guerre de telle sorte que rien ne fasse défaut quand il faudra monter l'assaut. Si[..] la place n'a pas été amenée à capituler, c'est qu'il y a faute de votre part. vous devez la trouver et la réparer. redoublez d'efforts, lors de l'assaut, imitez la vigilance, l'activité, l'ardeur et l'opiniâtreté des fourmis." Leçon d'attaque très utile, attaquez avec un matériel suffisant, réfléchir à l'efficacité de l'action et dans l'action, et continuez d'alimenter le combat sans relâche, sans renoncement.

"Par rapport à l'ennemi, vous pouvez vous trouver dans une infinité de situations qu'on ne peut toutes ni prévoir ni énoncer." Et comment ! "C'est votre expérience qui vous suggérera ce que vous aurez à faire dans chaque cas particulier." La Sagesse même... Néanmoins, Sun Zi donne ici quelques conseils, ne considérez pas les nombres qu'il avance, mais plutôt le rapport entre eux :

"- dix fois plus fort que l'ennemi, enveloppez-le sans lui laisser la moindre issue"
Tisser un réseau de mat en somme. "
- Cinq fois plus fort que l'ennemi, attaquez-le par quatre côtés à la fois.
- deux fois plus fort, partagez votre armée de telle sorte que l'une des parties immobilise l'ennemi et que l'autre l'attaque.
- Si vous êtes à égalité, engager le combat [..]
- Mais si vous êtes moins fort que l'ennemi, soyez sur vos gardes, évitez la moindre faute. Efforcez-vous de vous protéger, évitez le combat autant que possible : la prudence et la fermeté d'une petite force peuvent arriver à lasser et à maîtriser même une nombreuse armée." Cette phrase est tout simplement géniale. Certes, elle est une évidence, mais combien de fois en situation de faiblesse l'on tend à se lancer dans des attaques désespérées ?
Souvent il suffit d'une défense solide, regroupée, pour que les assauts répétés de l'adversaire finissent par lui faire commettre une grosse faute et contrairement à ce que l'on pense souvent, il y a un mérite a continuer une lutte même en étant en gros désavantage sauf si bien sûr la fin est inéluctable par quelque variante forcée.

"Pour réussir, la bravoure et la prudence doivent toujours accompagner les efforts et une conduite habile, mais il ne faut qu'une faute pour tout perdre et à combien n'est-il pas exposé d'en commettre ? S'il lève des troupes hors de saison, s'il les met en route lorsqu'elles doivent stationner, s'il ne connaît pas exactement les lieux où il doit les conduire, s'il les poste mal, les déplace sans nécessité, s'il ignore les besoins de chacun de ceux qui composent son armée, si chacun n'est pas à sa place suivant ses aptitudes, afin qu'un bon parti soit tiré de celles-ci, s'il ne connaît pas le fort et le faible de chacun et leur degré de fidélité [..] s'il ne sait pas commander, s'il est irrésolu et hésite lorsqu'il faut prendre parti rapidement[..] un tel général qui commet ces fautes épuise l'Etat."
Il faut donc avant de songer à bien jouer aux échecs, s'armer de qualités morales (bravoure et prudence) de technique (habileté), et éviter les fautes, ici l'énumération fait à chaque fois référence à un aspect du jeu, c'est hallucinant : hors de saison est à comprendre au mauvais moment, les besoins de chacun de ceux de son armée, c'est par exemple le besoin d'un cavalier d'être à un bon avant-poste, c'est son besoin vital, il contrôlera plus de cases et menacera plus. Suivant son aptitude, un fou est plus efficace s'il est mauvais devant sa chaîne de pions plutôt que derrière, leur degré de fidélité serait la confiance que l'on placerai en un bon fou dans une position ouverte plutôt qu'à un cavalier...

Article IV : De la contenance des troupes

"Sun Tse dit : Autrefois, ceux qui avaient l'expérience des combats, ne s'engageaient jamais dans les guerres qu'il prévoyaient ne pas finir avec honneur". La guerre ici prend le sens d'une attaque dans une partie.
"Avant de les entreprendre, ils avaient l'assurance du succès. Si les circonstances ne leur semblaient pas propices, ils attendaient des temps plus favorables. Ils avaient pour principe que l'on n'était vaincu que par sa propre faute, comme on n'étaient victorieux que par la faute des ennemis." Evidemment, sinon toutes nos parties seraient des nulles...
"Savoir ce qu'il faut craindre ou espérer, avancer ou reculer suivant l'état des troupes ou de celui des ennemis, aller au combat quand on est le plus fort et attaquer le premier ou, si l'on est en infériorité, se retrancher sur la défensive, c'est ce que pratiquaient les généraux expérimentés." Point besoin de commentaires.

Et là, une perle de sagesse, je crois l'avoir déjà lu dans le Bréviaire des échecs de Tartakover, sous une forme plus simple :
"Egaler ceux qui ont commandé honorablement, c'est le bon. vouloir être au-dessus du bon, en voulant les dépasser par un excès de raffinement, n'est pas le bon [..] je vous le dis : ce qui est au-dessus du bon est souvent pire que le mauvais."
J'apprécie surtout la raison pour laquelle il ne faut pas vouloir dépasser le bon, c'est par un excès de raffinement, sans nécessité. Donc la volonté de s'élever n'est pas condamnée ici, ce n'est pas une ode a la médiocrité, mais à la simple humilité.

"Les chefs habiles ne trouvent pas plus de difficultés à la guerre, car ils ont paré à toutes les éventualités; ils connaissent le bon et le mauvais de leur situation et de celle de l'ennemi, savent ce qu'ils peuvent et jusqu'où ils peuvent aller. La victoire est une suite naturelle de leur savoir et de leur conduite." Les grands-maîtres géniaux, dont l'aisance et le savoir nous confondent... et je jugement de la position, le bon et le mauvais de la situation...
"Enfin, rappelez-vous les victoires qui ont été remportées, les circonstances de la lutte [..]" Revoir les parties jouées par Fischer, Karpov, les analyser et en tirer profit.
"Apres un premier succès, ne vous endormez pas et ne laissez pas vos troupes se reposer mal à propos. Tombez sur l'ennemi avec la force du torrent qui se précipiterait de mille jin. Ne lui laissez aucun répis et ne pensez à recueillir les fruits de la victoire que lorsque sa défaite totale vous permettra de le faire avec loisir et tranquillité." Bien sûr, mais cela m'est arrivé bien plus d'une fois, savourer une victoire avant l'heure, relâcher l'effort alors que l'adversaire guette la moindre faute. Mille jin correspondent à 2000 m environ, imaginez la force d'un torrent descendant une montagne de 2000 mètres... c'est ce qu'il faut faire après un premier succès. Il est intéressant de voir que c'est une idée extrêmement agressive, il ne s'agit donc pas de considérer la stratégie de Sun Zi comme passive.

Haut de la page

Article V : De l'habileté dans le commandement des troupes

"Sun Tse dit : Prenez le nom de tous vos officiers, inscrivez-les sur un répertoire spécial avec l'indication de leurs capacités et de leurs aptitudes, afin que chacun soit employé suivant ses qualités." Sun Zi insiste ici sur le fait qu'il faut bien connaître ses troupes, leurs caractéristiques, j'ajoute pour l'analogie donc, de prendre le soin de les connaître indépendamment des autres unités, les dompter, les rendre dociles à votre usage.

"Les troupes qu'on lance sur l'ennemi doivent être comme des pierres qu'on jette sur des oeufs." Métaphore profondément orientale, qui fait son charme, et je lui trouve une certaine finesse : peu importe la valeur de l'unité qui attaque, et de celle qui est attaquée, ce qui compte c'est l'effet de la première sur la seconde. Ainsi un pion peut devenir autrement plus dangereux qu'un cavalier même en attaquant une pièce lourde...

"Grand jour et ténèbres, apparence et secret, voila tout l'art [..] En matière d'art militaire et de gouvernement des troupes, on ne considérera que ces deux éléments ; ce qui doit être fait en secret et ce qui doit être exécuté ouvertement, mais, dans la pratique, c'est une chaîne sans fin d'opérations[..] chaque opération militaire a des parties qui demandent le grand jour et des parties qui veulent le secret de la nuit." Cela a tout de suite intrigué mon esprit : prenez une combinaison que vous souhaitez exécuter. Considérez l'ordre des coups de cette combinaison : pourquoi ne pas jouer les coups dans l'ordre qui laissera le moins deviner vos intentions ? souvent c'est par négligence qu'on l'exécute en dévoilant le plan dès le premier coup, alors qu'avec un peu de réflexion, on peut agencer ceux-ci de telle sorte que jusqu'au dernier moment l'adversaire ne peut être avisé de l'intention finale...

"Aussi quelques bonnes, quelques sages que soient les mesures que vous avez prises, ne cessez pas d'être sur vos gardes, de veiller et de penser à tout et ne vous abandonnez jamais, ainsi que vos troupes, à une présomptueuse sécurité." Cela diffère du dernier principe de l'article IV en ce sens que celui-ci s'applique à une position défensive.

"ceux-la possèdent véritablement l'art de bien commander les troupes, qui ont su et qui savent rendre leur puissance formidable[..] qui ne font rien avec précipitation, qui gardent, dans les moments de surprise, le même sang-froid que s'il s'agissaient d'actions méditées[..] et pour qui la promptitude dans la décision n'est que le fruit de la méditation préalable jointe à une longue expérience." Encore un élément marquant de la culture orientale, une forme de ruse par la maîtrise de ses émotions, rester constant même quand on est surpris. Un autre petit arrêt sur le dernier passage de cette phrase, concernant la promptitude : Un grand-maître qui fait une simultanée jouera souvent plus vite que ses adversaires, or cela n'est humainement possible qu'en ayant une bonne dose de connaissances méditées préalablement (schémas récurrents après telles ou telles ouvertures) et une longue pratique du jeu... comparable aussi au jeu de blitz.

"Au cours de la mêlée et dans le désordre apparent, ils tiennent un ordre imperturbable [..] mais faire servir le désordre à l'ordre n'est possible qu'a celui qui a profondément réfléchi aux événements qui peuvent survenir [..] qu'à ceux qui détiennent une maîtrise absolue." Il suffit pour s'en convaincre de prendre une position particulièrement touffue, équilibrée, et de voir ce que tel ou tel champion en a dégagé comme plan !

"Si grand et si prodigieux que cela paraisse, j'exige cependant quelque chose de plus de ceux qui commandent les troupes : c'est l'art de faire mouvoir à son gré les forces ennemies. ceux qui disposent de cet art admirable disposent de l'attitude de leurs troupes et de l'armée qu'ils commandent. L'ennemi vient à eux quand ils le désirent et il leur fait des offres; ils donnent a l'ennemi et celui-ci accepte ; il lui abandonne et il vient prendre. Prêts à tout, ils profitent de toutes les circonstances." J'avoue que cet art m'échappe complètement, mais je me suis souvenu d'un épisode dans une de mes parties contre un joueur bien plus fort que moi. La position était bloquée et le matériel égal. Dans un coin de l'échiquier (a5-a6 b5-b6), je courrais derrière la dame ennemie que je croyais pouvoir prendre, en fait, c'était un piège, après avoir contourné un îlot de pions, elle me forçait à perdre un fou engagé dans sa poursuite... édifiant de ce principe.

Article VI : Du plein et du vide

"Sun Tse dit : Avant le combat, une chose essentielle, c'est de bien choisir le point de rassemblement de vos troupes." Elémentaire. encore comprendre avant de déclencher une attaque. Silman aurait dit : décider du secteur de l'échiquier où vous porterez vos efforts.

"Etre le premier en place est à rechercher." Dans le cas où il y a une volonté réciproque de contrôler un secteur, le centre par exemple...

"La grande science est de lui faire vouloir ce que vous voulez qu'il fasse et de lui fournir, sans qu'il s'en aperçoive, tous les moyens de vous seconder." En partant de votre adversaire. Référence à l'art de manipuler ses troupes de l'article précédent.

Mais Zun Si en fait une arme de premier choix :

"Ayant ainsi disposé de votre point de rassemblement et de celui de l'ennemi, patientez tranquillement afin que votre adversaire esquisse ses premiers mouvements ; mais en attendant, efforcez-vous de l'affamer au milieu de l'abondance, de le tourmenter dans le sein du repos et de lui susciter mille inquiétudes dans le temps même où il devrait se trouver en pleine sécurité. Mais si l'ennemi ne répond pas à votre attente, qu'il reste inerte et ne parait pas disposé à quitter sa zone de rassemblement, sortez-vous même de la votre. Par votre mouvement, provoquez le sien, donnez-lui de fréquentes alertes, faites-lui naître l'occasion de quelques imprudences dont vous puissiez profiter." Et refusez les propositions de nulles prématurées ! Stratégie offensive encore une fois, Sun Zi insiste tout de même que le but est de provoquer l'ennemi plutôt que de l'assaillir précipitamment, sûrement parce qu'il juge cela trop hardi ou téméraire.

"S'il n'est pas opportun de livrer combat [..] tenez-vous derrière vos retranchements, prenez vos dispositions pour soutenir l'attaque et préparez les contres-attaques utiles." En effet, souvent sous les attaques ennemies on ne songe qu'à se défendre passivement, en espérant que le feu cessera, or la multiplication des pressions fait que le bastion défensif s'effondre bien vite. Donc il faut songer dans cette défense aux contres-attaques possibles, mais pas désespérées...

"Veillez attentivement à ne jamais séparer les différents corps de votre armée. Toujours ils doivent pouvoir se prêter une aide réciproque. Au contraire, par vos diversions, faites que l'ennemi sépare ses éléments." Coordination des pièces, assistance mutuelle... et ruse.

"instruit de ses plans, de ses marches, et de ses manoeuvres, chaque jour vous le verrez se rapprocher du théâtre où vous voulez qu'il vienne." Lire : chaque coup. Bien sûr, et la meilleure façon est de s'interroger à chaque moment, que cherche-t-il à obtenir en faisant ceci ?
Un autre bijoux de compréhension de l'art du combat :

"Ne cherchez pas le nombre : la quantité est souvent plus nuisible qu'utile. Sous un bon général, une petite armée, bien disciplinée, est invincible." Dans la pensée de Sun Zi, invincible prend le sens d'inattaquable, très bien défendue et se défendant très bien.

"Avant d'attaquer, examinez scrupuleusement si vous avez mis toutes les chances de votre côté." Calculer et recalculer pour vérifier le plan.

Et de conclure cet article par une image savoureuse :

"Sans pente, l'eau ne peut couler."
Qu'il explique de cette façon : "Mal commandées, les troupes ne peuvent vaincre : c'est le général qui décide de tout.[..] Il n'y a pas de qualités permanentes qui rendent les troupes invincibles et les plus mauvais soldats peuvent devenir d'excellents guerriers." Sans commentaires.

Haut de la page

Article VII : Des avantages qu'il faut se procurer

"Il n'est pas bon de s'engager dans de petites actions dont il n'est pas certain que vous tiriez profit [..] la précipitation est toujours dangereuse." Voilà pour le pion si facilement pris au détriment d'une position disloquée.

"Le moins qu'il puisse vous arriver, si le résultat est douteux ou la réussite incertaine, c'est de vous voir frustré de la plus grande partie de vos espérances et de ne pas parvenir à vos fins." Sun Zi, psychologue à ses heures.

Sur l'effet de surprise : "Un ennemi surpris est à demi vaincu. Mais si vous lui laissez le temps de se reconnaître, il trouvera les ressources pour vous échapper et peut-être vous perdre."

Article VIII : Des neufs changements

Plutôt que de les énumérer, je cite l'idée qui les sous-tend :

"Un bon général ne doit jamais dire : quoi qu'il arrive, je ferai telle chose, j'irai là, j'attaquerai l'ennemi, j'assiègerai telle place [..] Un bon général doit savoir l'art des changements. S'il se borne à une connaissance vague de certains principes, à une application routinière des règles de l'art, si ses méthodes de commandements sont dépourvues de souplesse, s'il se borne à examiner les situations conformément à quelques schémas, s'il prend ses résolutions d'une manière automatique, il ne mérite pas le nom qu'il porte et il ne mérite même pas de commander."
Et deux dernières règles très utiles : "Il ne s'agit pas de deviner (car à trop faire d'hypothèses, vous risquez d'être victimes de vos conjectures précipitées) mais seulement d'opérer toujours en sûreté, d'être toujours en éveil, de s'éclairer sur la conduite de l'ennemi [..] Pour ne pas être accabler par la multitude de travaux et d'efforts à accomplir, attendez-vous toujours à ce qu'il y a de plus dur et de plus pénible et travaillez sans cesse à susciter des difficultés à votre adversaire." On se demande ou les penseurs de ces deux derniers siècles allaient pêcher leur fameux : faites comme si l'adversaire trouvera toujours le meilleur coup.

Par contre, je ne résiste pas à donner les dangers qui selon lui menace un général :
"- La témérité à risquer la mort [..] un général qui s'expose sans nécessité [..] est un homme qui n'est bon qu'à mourir."
"- L'excès de précaution à conserver sa vie. Bientôt manoeuvré, il périra par le trop grand souci qu'il avait de conserver sa vie."
"- Le manque de maîtrise de soi-même"
"- Un point d'honneur mal entendu [..] Pour réparer une atteinte à son honneur, on le perd parfois irrémédiablement."
"En somme : sans trop chercher à vivre ou à mourir, le général doit se conduire avec valeur et prudence, selon les circonstances."

Tout est dans la mesure, c'est un réel état d'esprit que celui de meneur de troupes.

A partir de maintenant, je ne sélectionne que quelques passages sur tout les articles, en vrac :

Sun Tse dit : "Avant de stationner vos troupes, sachez dans quelles position sont les ennemis, renseignez-vous sur le terrain et choisissez ce qui vous offre le plus d'avantages.", avec celle-ci, c'est l'essence même du jeu positionnel qui est louée : "De l'art de faire stationner judicieusement ses troupes dépend la plus grande partie des succès militaires."

Ou encore, et on retrouve là l'importance du centre, la valeur relative des cases et des lignes :

"Tous les lieux de la Terre ne sont pas d'une valeur équivalente. S'il en est que vous devez fuir, d'autres sont à rechercher, tous doivent être connus [..] Mais, en toutes circonstances, que vous vouliez occuper un emplacement favorable ou évacuer un lieu dangereux ou incommode, faites vite comme si l'ennemi avait la même préoccupation que vous."
et de conclure : "ceux qui sont véritablement habiles dans l'art militaire font toutes leurs marches sans risque, tous leurs mouvements sans désordre, toutes leurs attaques à coup sûr, toutes leurs défenses sans surprises, leurs campements avec choix, leur retraite par système et avec méthode. Ils connaissent leurs propres forces, celles de l'ennemi, et ils sont instruits de tout ce qui concerne les lieux."

La dernière sera une image certes pas très noble (du point de vue occidental, en Chine le serpent est un animal respecté), mais tellement représentative de la souplesse qu'exige l'art de diriger des troupes au combat :

"Pour être invincible, votre armée doit ressembler au Shuai-jan, ce gros serpent des montagnes du Tchang-chan. Frappé à la tête, la queue va au secours de celle-ci et, si on menace la queue, c'est la tête qui vient la protéger ; menacé dans la partie centrale de son corps, tête et queue se réunissent aussitôt pour la parade. Cela est-il possible pour une armée ? Je réponds : cela se peut, cela se doit et il le faut."

Que dire face à une détermination pareille, si ce n'est que l'on y croit sur parole ?
Sun Zi est celui qui posa les fondements de la stratégie militaire. Pourtant, quelques temps après lui, les hordes de cavaliers mongols causaient de lourds dégâts aux empires de Chine.
Ses idées furent ainsi oubliées durant une longue période de l'histoire, et ce n'est que récemment qu'elle furent remises à l'ordre du jour. A la moitié du siècle dernier, lorsque la guerre de tranchées exigeait de telles techniques de combat, puis aujourd’hui, ou ce livre sert de guide aux plus grandes entreprises nippones, américaines et anglaises...

J'espère que vous avez apprécié la lecture de ces textes, moi je suis fasciné, et je pense que pour un amateur, aborder le jeu d'échecs avec une telle optique, c'est se préparer à de nombreuses victoires.
Les vôtres peut être !

En tout cas, Chaliand résume bien cette pensée : "L'universalité des principes militaires de Sun Zi se trouve confortée par le champ considérable où l'intelligence des rapports de forces trouve intérêt à s'exercer de façon organisée."